Que penser des actes de vandalisme commis ces derniers temps par certains activistes contre les bouchers ? Ma réponse va peut-être vous étonner : je les accepte, je les comprends, mais je les condamne.
Pourquoi est-ce que je les accepte ? Parce que tout changement de mœurs de la société s’est fait avec sa part de violence. Et il n’existe pas de contre-exemples. On peut citer, par exemple, la lutte contre l’apartheid et le racisme, avec d’un côté Martin Luther King, et de l’autre Malcolm X. Est-ce que ces violences ont été utiles ? Je n’ai pas la réponse. Il faudrait interroger les historiens et les sociologues, mais elles existent. Et ça n’est qu’un avis personnel. Je me trompe peut-être, mais elles existeront toujours. Cela nous amène au point suivant : pourquoi est-ce que je comprends ces actes et les personnes qui en usent ?
Tout comme je suis intimement et fermement persuadée que la méthode douce est la meilleure, ces activistes sont persuadés que les actes de vandalisme sont plus efficaces. Eux, comme moi, avons réfléchi, nous nous sommes renseignés. Il y a aussi une part d’expérience personnelle, qui vaut pour ce qu’elle vaut. Et nous pensons chacun être dans le juste. Il y a aussi un autre facteur qui entre en jeu : le temps, et c’est probablement à cause de ce dernier que les pacifistes et les non-pacifistes divergent : La situation est urgente et alarmante pour les animaux, alors faut-il tendre la main vers le changement ou taper du poing sur la table ? Il y a donc deux points de vue concernant ce fameux temps :
Le premier, celui des activistes pacifistes. Ils sont bien conscients que le temps que mettront les gens à réfléchir et changer, les animaux continueront d’être exploités. Ces activistes pensent aussi, et à mon sens ils ont raison, qu’un vrai changement n’a aucune chance de tenir dans le temps si les gens ne savent pas pourquoi ils le font. Si l’on impose le véganisme, il est fort probable que dès que la pression sera redescendue, d’une part nous reviendrons en arrière, et d’autre part il y aura énormément de vente sur le marché noir. On aura juste remplacé un problème par un autre. Et pour finir sur ce point, un changement plus long permet aussi de trouver des solutions à divers problèmes, tels que, par exemple, ce que nous allons faire de tous ces animaux jusqu’à ce qu’arrive le triste jour de leur mort, vers quels métiers pourraient se tourner les éleveurs/bouchers, comment remettre en place, en France (alors que la plupart des terres sont incultivables en l’état actuel), des champs de fruits, légumes et légumineuses. Liste non-exhaustive.
Le deuxième point de vue, celui des activistes usant de vandalisme, est que les animaux doivent être libérés maintenant, tout de suite. Et ils n’ont pas tort du tout, au contraire ils ont raison. Pour eux, les solutions aux problèmes qui n’ont pas encore été résolus seront trouvées sur le tas, car ils estiment que comme les humains ont exploité sans vergogne, et c’est peu dire, les animaux, iels peuvent bien passer par une période plus ou moins compliquée et mouvementée. Et pendant que nous résolvons les problèmes liés à leur libération, les animaux n’ont pas à attendre dans leurs cages, ou dans l’obscurité des étables. C’est injuste, tellement immérité, mais je pense que pour la sécurité et la survie des animaux, il est indispensable que les choses se fassent en douceur, afin qu’ils réapprennent à vivre libres de leurs cages et libres de leur dépendance à l’être humain. Il y a ce qu’on veut faire, ce qu’on peut faire, et ce qu’on doit, ou pas, faire.
Enfin, pourquoi est-ce que, toutefois, je les condamne ? Parce qu’à mon sens, non seulement ces actes n’apportent rien, mais en plus pèsent lourd du mauvais côté de la balance. Plusieurs choses me gênent. D’abord, il ne faut pas confondre désobéissance civile avec vandalisme. Les entrées illégales, dans les abattoirs par exemple, sont un acte de désobéissance civile. Ils entrent, sont silencieux à l’intérieur, ne cassent rien et se laissent évacuer par la police sans résistance. Une brique dans une vitrine c’est du vandalisme, rien de plus. Ensuite, lorsque l’on fait passer un message, il est nécessaire d’apporter deux choses : un discours clairement compréhensible et un interlocuteur pour discuter. Or, le vandalisme n’apporte ni l’un ni l’autre. Lorsqu’on s’en prend aux bouchers, on envoie le message que c’est la viande qui nous pose problème. Mais la viande, une grande majorité d’entre nous l’a aimée, et certains véganes consomment régulièrement, avec plaisir et gourmandise, des similis carnés. Non, nous ne voulons pas imposer un régime alimentaire. C’est ridicule. Les véganes se battent pour la fin de l’exploitation des animaux. La fin de la viande n’étant qu’une conséquence qui, on vient de le voir, n’est même pas regrettable pour nos papilles gustatives. Ensuite, lorsque le boucher arrive à sa boutique le matin, il est certes accueilli par de grands « Go Vegan » sur le mur, mais il n’y a personne pour lui expliquer les raisons de cet acte, ni les revendications derrière. Autre point, il est indéniable que la viande aujourd’hui fait partie intégrante de la cuisine française. Et le boucher du coin, c’est souvent quelqu’un que l’on aime bien. S’en prendre à eux, c’est s’en prendre à tous ses clients, c’est s’en prendre à tous les habitants de France qui, comme le boucher, ne comprennent pas cet acte. Stratégiquement, vandaliser la vitrine de la boucherie revient à envoyer un grand coup de pelle à tous les français, puis se barrer en courant sans donner plus d’explications.
Deux autres points rapidement: premièrement, passer un message de paix en usant d’actes considérés par notre société comme violents, c’est un non-sens en soi. Comment pouvons-nous être pris au sérieux si nous ne respectons pas nos propres valeurs et lui trouvons des exceptions quand ça nous arrange ? Rien ni personne ne doit nous les faire trahir, aucune exception n’est entendable. Et puis, entre nous, quelle personne sensée aurait envie de rejoindre un mouvement qui défend d’autres espèces animales, mais agresse verbalement, physiquement, et méprise la sienne ? Personne, et je le comprends très bien.
Deuxième point, ce n’est pas seulement un non sens, c’est aussi, stratégiquement, mauvais. Tout le monde s’accorde pour dire que si McDonalds est victime d’un acte de vandalisme, la giga entreprise fera réparer les dégâts, grâce aux assurances. Il n’auront rien à payer, et auront même au passage gagné un gros coup de pub, comme ça, gratos, cadeau des véganes. Du côté des bouchers, je ne sais pas ce qu’il en est des assurances, ce qui est sur en revanche, c’est qu’à a chaque vitrine vandalisée, eux gagnent en sympathie, gagnent probablement aussi un peu en clientèle, pendant que nous véganes chutons vertigineusement vers le fond du grand trou réservé aux gens que les français détestent le plus.
Le véganisme en lui-même est la revendication de la liberté pour les animaux non-humains, un appel à la fin de leur exploitation et de la violence envers eux et uniquement eux. Mais il est intégré dans un cercle bien plus large qui englobe TOUS les animaux, espèce humaine comprise. S’ouvrir à la souffrance et aux problèmes des non-humains, pour se mettre à se foutre complètement de celle des humains, péter leurs vitrines parce que leur métier ne nous plaît pas ou parce qu’ils ne virent pas leurs oeillères aussi vite que nous, c’est moyen moyen. Certes, les bouchers font, de notre point de vue, un métier dégueulasse. Mais l’argument que j’entend encore et encore, à savoir « oui mais les vraies victimes ce sont les cadavres derrière ces vitrines », se traduit purement et simplement par « mais madame ce sont eux qui ont commencé la violence en vendant du cadavre donc je ne fais que rétorquer ». Et il me semble que dès la maternelle, on nous apprend que répondre à la violence par la violence n’est pas une solution.
Zoomons un instant sur l’aspect humain : je vous entends déjà me dire que c’est facile de devenir végane et changer de métier, et que donc les bouchers, les poissonniers, les fromagers n’ont qu’à se reconvertir dans l’agriculture, le graphisme ou l’art du cirque (vu que ce dernier n’a plus d’autres choix que de cesser d’exploiter les animaux, sous peine de simplement disparaître, et de les remplacer par des artistes). Mais vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’au coude. D’une part, les reconversions professionnelles sont loin d’être simples à faire. Elles peuvent coûter cher en temps, en argent, en énergie, et ce même à 30 ans. Alors quand on en a 45, 50 ou 60, que nous sommes physiquement usés par notre métier, qu’on a peut-être aussi des crédits ou des dettes, quitter son job n’est pas si simple, et en trouver un autre peut s’avérer difficile, voire impossible. D’autre part, si pour certains, devenir végane a été facile, ça ne l’a pas été pour tout le monde. Pour l’amour de qui ou quoi que vous voulez, cessez de croire que ce qui a été possible ou simple pour vous, l’a été également pour les autres. Craintes quant à l’alimentation, incompréhension voire rejet de la famille ou des amis, etc. sans vouloir invisibiliser les vraies victimes que sont les animaux, oui, je le dis, devenir végane et l’assumer peut être très compliqué et difficile à vivre pour certains. Et ce même aujourd’hui, en France, pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité… pour et entre les hommes (et de temps en temps, parce qu’il faut remplir les quotas, un peu aussi pour les femmes). Alors que l’on pratique un métier hors du secteur de l’alimentation, ce changement de vie est parfois difficile. Donc imaginez avoir fait de la viande votre métier, voire que ce métier soit votre passion : rien que le premier pas de la remise en question est difficile. Devenir végane c’est se prendre une grosse claque dans la gueule parce et qu’on a dû admettre qu’on s’est fait berner. Si en plus il faut accepter que l’on ait participé un peu plus que les autres à faire tourner un système malsain et injustifiable sur tous les points de vue, il est compréhensible qu’on ne veuille même pas faire le premier pas de la réflexion. Cela peut sembler lâche. Mais toi, végane qui me lit, si tu as su passer au-delà du spécisme, je suis sûre que concernant bien d’autres points de vue de ta vie, tu n’es pas tout blanc.
Cessons donc de juger, dénigrer, rabaisser, d’envoyer des messages vides, de semer la terreur et la haine là où il faut semer la paix et l’altruisme. Et j’irai même plus loin : les éleveurs, les bouchers et les véganes, au final, ont les mêmes ennemis ; à savoir le système, ces grandes entreprises qui veulent toujours plus de viande et de lait, qui exploitent les éleveurs et bouchers, qui eux exploitent les animaux. Unissons-nous, combattons ce système, pour qu’humains et non-humains soyons libres et menions côte-à-côte la vie à laquelle nous avons droit…
@Noitasilagel